Ensemble Sarband
Collection dirigée par Abed Azrié.
Musiciens
Ahmet Kadri Rizeli, kementché (vièle orientale) et percussions - Ihsan Mehmet Özer, qanoun (Cithare orientale) et percussions - Mehmet Cemal Yesilçay, oud (Luth oriental) et percussions - Axel Weidenfeld, Luth - Ian Harrison, Cornetto, Chalumeau et Chant - Miriam Andersén, Chant et Harpe Gothique - Fadia El-Hage, Chant
Percussions, Luth et Direction Musicale : Vladimir Ivanoff
Présentation
Erik Satie (Honfleur 1866 - Paris 1925)
De père français et de mère écossaise, personnage paradoxal, mystique et pince-sans-rire, passionné de chant grégorien, d'art gothique et d'écrits concernant la vie des saints, sa musique évoque l'ancien monde par une simplicité pure, une répétition monotone et des harmonies modales extrêmement singulières. Il est à l'origine de l'évolution de notre musique contemporaine.
Debussy et Ravel manifestent une grande estime pour son art, le premier en orchestrant deux de ses Gymnopédies en 1988. Tous deux subissent, de toute évidence, son influence par sa conception prophétique de l'harmonie parallèle, libérée des lois d'enchaînement des accords. Cette influence se manifeste dans « Sainte », la « Sonatine » et le « Trio » de Ravel. Quant à Debussy, il utilise quinze ans après Satie ses successions d'accords de neuvième.
Entre 1887 et 1895, Satie gagne sa vie en jouant du piano dans les cabarets de Montmartre notamment au Chat-Noir, enrichissant le répertoire du cabaret avec des chansons et de petites valses.
A partir de 1897, il s'engage progressivement dans une voie nouvelle : l'humour musical (« Pièces froides », « Morceaux en forme de poire », « Véritables Préludes flasques », « Pour un chien », « Airs à faire fuir »).
Autodidacte, il se met à suivre à 39 ans le cours de contrepoint de Roussel à la Schola Cantorum. Il en résulte dans son art un dépouillement extrême.
Parrain du Groupe des Six, avec son admirateur et défenseur Jean Cocteau, Satie écrit le ballet anticonformiste « Parade » en 1917 utilisant une machine à écrire, un revolver dans l'orchestre et d'autres instruments insolites. En 1919 il compose la cantate « Socrate », d'une profonde humilité créatrice, et en 1924 il écrit sa dernière œuvre majeure, le ballet dadaïste « Relâche ».
L'œuvre de Satie est un retour à la simplicité, à la mélodie, à la consonance la plus ingénue, une sorte de retour au Moyen-Âge , le tout assaisonné d'une pointe de jazz, de quelques piments acidulés et d'emprunts à l'esthétique du caf'conc'.
Dans ses partitions, les interprètes se trouvent confrontés à des instructions tout aussi absurdes qu'ironiquement humoristiques.
Satie vivra jusqu'à la fin de sa vie dans une pauvreté délibérément voulue.
La musique de Satie, donnant une impulsion à divers mouvements musicaux, libère l'écriture de toutes les conventions ; c'est l'aube d'une ère nouvelle.
Abed Azrié
Satie en Orient
Les premières œuvres de Satie, dites néo-gothiques/néo-byzantines, présentent des accents du haut Moyen-Âge et déjà des sonorités et des références orientales.
Les Gymnopédies (1887-88) évoquent les danses des éphèbes de l'antique Sparte en l'honneur d'Artémis et d'Apollon. Des mélodies archaïques, directement influencées par le mode néo-grec, flottent au dessus d'une harmonie modale, produisant une atmosphère orientalisante enchanteresse très en vogue à l'époque.
Les Gnossiennes (1889-91) vont encore plus loin dans l'orientalisme avec leurs mélodies en mode grec chromatique et l'ornementation en arabesques. Satie s'est vraisemblablement inspiré d'une série de concerts de musiques « extra-européennes » données sous le titre « Musiques bizarres » lors de l'exposition universelle de 1889.
Il s'identifie à cette époque à Joséphin Péladan dit Sâr Mérodok, fondateur de l'Ordre de la Rose-Croix. De nombreux intellectuels parisiens sont alors fascinés par le mélange d'occultisme, de bizarrerie et d'idéalisme que propose Péladan, opposant la magie et la mystique au réalisme et à la science.
La motivation de Péladan, comme celle des premiers rosicruciens, est la critique du présent. Il magnifie le Moyen-âge et rêve d'un « retour au pays du soleil levant », le pays des ancêtres, se disant même être un descendant direct des rois de Babylone. Selon lui, la vie actuelle est malade. Il se promet le salut dans un retour à la spiritualité : « L'œuvre d'art doit être une prière qui unit créateur et création. »
En 1890, Satie est compositeur officiel de l'Ordre de la Rose-Croix. Avec des oeuvres comme l'hymne pour le « Salut Drapeau » du « Prince de Byzance », et « Sonneries de la Rose-Croix » (1890-92), il développe une technique personnelle et unique de composition qu'il garde tout au long de son œuvre.
Après sa rupture dramatique avec Péladan et la composition du « Ballet chrétien, Uspud » (1892), Satie fonde sa propre église dont il est l'unique membre : L'Eglise Métropolitaine d'Art de Jésus Conducteur.
« Les Danses Gothiques / Neuvaine pour le plus grand calme et la forte tranquillité de mon âme » (1893) sont une dernière tentative désespérée de transposer en musique sa quête spirituelle et son souhait de s'évader vers un monde ordonné et « blanc ».
En 1891, vingt ans avant le Traité d'harmonie de Schönberg qui présente dans son annexe une théorie sur les accords des quartes, Satie utilise dans Le Fils des Etoiles, une « Pastorale Chaldéenne » de Joséphin Péladan, des séries d'accords en quarte qui tranchent avec la pratique musicale de l'époque. Avec elles, Satie dessine une partie de l'avenir de la musique.
Vivant à la fin d'un siècle où le progrès technique et scientifique va bouleverser la société, Satie plonge alors comme beaucoup d'autres artistes dans le lointain et l'intemporel, « re-créant » l'Orient comme son propre paysage psychologique.
Vladimir Ivanov
Plus d'Occident, ni d'Orient
Discographiques ou de concerts, tant de projets pétris d'humanisme ont depuis longtemps cherché à rapprocher des cultures et des répertoires différents. Nombre d'entre eux furent des échecs car aucune nécessité artistique, sans doute, ne les gouvernait.
Ce disque, lui, n'est pas une curiosité d'un instant. A priori, bien sûr, il semble pour le moins étrange de faire jouer par des instruments orientaux la musique d'un compositeur qui, certes singulièrement, mais mieux que d'autres, a magnifié le génie français. Néanmoins, un examen plus approfondi des faits et surtout l'écoute de la musique elle-même viennent valider le projet et les intuitions sur lesquelles il s'appuyait.
Il faut oublier ces quelques particularités remarquables de la manière de Satie qui, sans être négligeables, ne fondent pas exclusivement son esthétique : ses titres cocasses, ses annotations surprenantes, sa graphie élégante et contournée, ses hésitations entre beuglant et tabernacle… Il vaut mieux considérer avec tendresse les harmonies surprenantes choisies par le compositeur et surtout le sentiment du temps qui en découle et grâce auquel elles se déploient.
Ces harmonies étranges, enchaînées avec inconséquence au regard de la tradition occidentale, ces harmonies qu'au fil du temps on n'entend même plus tant l'image (cinéma et documentaire) les a banalisées, transformant plusieurs des partitions du maître d'Arcueil (Gymnopédies et Gnossiennes tout particulièrement) en bandes-son d'une merveilleuse neutralité, voici qu'on les écoute enfin avec une oreille attentive et presque vierge dès l'instant où des instruments qui ne furent jamais destinés à les magnifier viennent s'en emparer avec dilection.
Les instruments orientaux auxquels s'adjoignent, parfois imperceptiblement, quelques chantres de la vieille Europe (chalumeau, cornet à bouquin, harpe médiévale) viennent confirmer les belles intuitions de Satie quand il se forgeait un langage singulier qui, procédant d'une vision onirique de l'Histoire, évoquait passagèrement et furtivement le Moyen-âge, la Grèce Antique et même l'Orient, époques et continents d'autant plus rêvés qu'ils lui semblaient lointains.
Sauf quelques instants d'improvisation (tels des toccatas ou des préludes nécessaires à l'échauffement), tout le texte de Satie est ici respecté à la lettre. Néanmoins, les musiciens doivent se plier à la facture de leurs instruments -les idiotismes musicaux restent prégnants dans une certaine mesure. Ceci explique que si les hauteurs et les rythmes sont fidèlement joués, l'allure est sensiblement modifiée (ralentie par exemple par l'emploi d'une percussion qui souligne les splendeurs hiératiques bien présentes dans la musique mais que le pauvre piano est incapable d'imaginer). Sans compter que la tradition orientale vient naturellement se couler ici entre les portées - main et gant ne faisant alors plus qu'un - et que tout un appareil d'ornementation se fait jour sans contrainte, à mille lieues de tout anachronisme.
Mais il y a plus troublant. Au fil du temps, au fil du disque, il semble que le caractère si singulier, si affirmé des œuvres de Satie perde de sa prégnance. Ce n'est pas que la musique vise à l'anonymat ; au contraire, elle tend à l'universel, se dépouillant peu à peu des oripeaux séduisants qui faussaient notre premier jugement.
Pareillement les instruments sont lentement dépossédés de ce qui les rattache à la culture qui leur donna naissance ; ils oublient même la facture qui les contraint jusqu'à échanger leurs rôles et leurs fonctions. Alors, miraculeusement : plus d'Occident, ni d'Orient. Ce disque, qui abhorre la démonstration, n'arpente que le territoire de la musique.
Dominique Druhen
Satie : la nouvelle jeunesse du maître
Surprenant : les pièces pour piano du grand musicien jouées idéalement par un orchestre oriental. Chant, cithare, vièle et luth orientaux… c’est un disque onirique qui ouvre l’année.
Géo